Lettre ouverte au Président
de la République


Monsieur le Président de la République, je vous ai entendu dire une fois au moins, je cite : « Quand il s’agit des intérêts de ce pays, je ne connais ni parents, ni amis ». Ces mots cheminent encore dans mes souvenirs comme une profession de foi, mieux, comme une articulation sonore de votre détermination à protéger et à défendre par tous les moyens les intérêts de notre pays.

Protéger et défendre les intérêts de notre pays, voici la raison de ma présente lettre ouverte. Je vous prie d’excuser son caractère peu discret ; vous conviendrez avec moi qu’il est important de prendre l’opinion publique nationale à témoin pour un sujet qui la concerne directement.

Je suis professionnel de la culture depuis vingt deux ans. J’ai pu observer que malgré les efforts qui sont faits, le secteur culturel d’un pays comme le nôtre n’a pas achevé la mise en place des mécanismes pouvant lui permettre de défendre efficacement ses intérêts dans un environnement concurrentiel de plus en plus vicié. Mais ceci n’excuse pas pour autant la convoitise constante de prétendus partenaires omnibulés par les enjeux de rayonnement, de positionnement géostratégique, de contrôle des marchés, de captation des plus-values économiques, politiques et intellectuelles. Ailleurs, les acteurs culturels et les gouvernements inventent des outils nouveaux pour résister à la chasse aux vitrines à laquelle se livrent certaines puissances étrangères.

Ces puissances chassent davantage dans un pays comme le nôtre parce que dans le domaine culturel, le Bénin présente un potentiel incommensurable grâce notamment aux pratiques cultuelles ancestrales très riches dont se nourrit le génie créateur de notre peuple. Elles savent aussi que ce potentiel est, pour une large part inexploré, inexploité, pour ne pas dire qu’il est vierge. Pour cause, le Bénin ne dispose d’aucun marché d’envergure internationale digne du nom. Les initiatives sont tuées dans l’œuf ou privatisées à un prétendu partenaire (coopération étrangère) qui impose ses diktats, en fait le lieu d’exhibition de ses réseaux pendant deux ou trois éditions avant de se retirer. Et vu que l’initiative lui a été privatisée avec cession de tous les droits, aucune autre coopération étrangère ne vient financer une initiative abandonnée par une coopération étrangère concurrente. Cette initiative finit par disparaître ou se repose désormais sur le seul budget national même si son titre foncier est détenu par le premier propriétaire. Le Festival International de Théâtre du Bénin (FITHEB) en est une illustration physique connue.

Ce sont là quelques unes des raisons qui expliquent notre résistance au vol dont notre association, l’association Regard Bénin est en passe d’être victime.

En effet, monsieur le Président de la République, le projet de la biennale d’arts contemporains Regard Bénin est un projet de l’association Regard Bénin, une association régulièrement déclarée et enregistrée conformément à la loi. Mais pour des raisons qui nous échappent, certains membres de notre conseil d’administration ont démissionné. Ces démissionnaires montent le même projet pour les mêmes dates et sont soutenus et financés par l’Institut français, lequel  est toujours membre de notre association même si sa représentante ne vient plus à nos réunions.

Nous avons sollicité l’arbitrage du ministre de la culture. Malgré les pressions, ce dernier a su faire preuve de discernement et de courage en prenant un certain nombre de décisions par endroits insatisfaisantes certes, mais subtiles et intelligentes. Malheureusement, cela n’a servi à rien. Nous remarquerons, non  sans étonnement que les démissionnaires ont jeté purement et simplement les décisions du ministre à la poubelle mais que paradoxalement les fonds publics leur ont été décaissés. Oui. Etrange en effet !

Nous avons souhaité que plusieurs partenaires internationaux qui s’étaient annoncés, y compris l’Institut français accompagnent ce projet au lieu de le privatiser de façon exclusive à l’un d’entre eux. Nous tenons cette posture depuis lors par souci de garder le contrôle d’un marché que nous avons inventé chez nous et par devoir patriotique. Notre faute est d’avoir dit non, d’avoir refusé l’agenouillement pieds et mains liés. Voici où nous en sommes et pourquoi l’on nous menace, pourquoi l’on nous crée tous les problèmes.

Monsieur le Président de la République, permettez-moi de trouver déplorable et inacceptable qu’autour d’un projet aussi précieux que celui-ci, deux béninois soutenus par l’Institut français réussissent à semer la confusion dans les esprits, jouent avec la crédibilité et l’image de marque de notre pays, nous volent, prennent notre argent, occupent en toute illégalité la vitrine BENIN pour y exhiber des artistes de leurs réseaux en rangeant dans les coulisses et dans les couloirs peu valorisant ceux des artistes béninois qui acceptent de s’abaisser. Laisser faire cela est une autre façon de brader ce pays.

Voici contre quoi mes collègues et moi nous résistons. Mais nous n’avons ni les charges, ni les responsabilités, ni les pouvoirs qui sont les vôtres ; notre ministre de tutelle non plus. Le seul qui soit investi par tous les béninois pour défendre leurs intérêts et ceux du Bénin c’est bien votre très respectable personne.

Vous me permettrez de prendre le peuple béninois à témoin pour vous le demander solennellement : Ne les laisser pas faire. L’Institut français et ceux de nos frères qui les préfèrent ne vont certainement pas défendre mieux que nous les intérêts de notre pays  en nos lieux et places. Ceux qui vous l’ont caché vous ont trompé et ceux qui vous disent le contraire pour prendre l’argent des contribuables béninois vous insultent, ils escroquent doublement notre pays, notre peuple.

Voilà pourquoi je vous ai cité au début de ma lettre, Monsieur le Président de la République. Ce dossier est désormais entre vos mains.

Avec mes humbles et très respectueuses salutations.

Ousmane ALEDJI
Directeur Exécutif de la Biennale Regard Bénin 2012



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